19 octobre 2022 : “Documenter l’échec de la massification des activités physiques dans l’URSS de Staline : le prisme des enquêtes statistiques”. Carrefours d’histoire du sport. Limoges.

Le développement des activités physiques constitue un des projets portés par les dirigeants du régime soviétique. Chez les militaires, les médecins et les pédagogues, souvent issus des réformateurs sociaux de la période tsariste, l’activité physique est valorisée car elle a plusieurs fonctions[1]. Elle doit permettre de raffermir les corps chétifs des enfants et des jeunes d’URSS. Elle vise tout autant à préparer militairement les futurs défenseurs de la patrie. Enfin, elle doit permettre de canaliser les énergies et de modeler les citoyens soviétiques en devenir. La fizkul’tura se déploie sur un ensemble d’activités physiques et corporelles très variées : activités hygiénistes comme les bains de soleil, les bains de mer ou les excursions en forêt ; les jeux et les sports ; les exercices de gymnastique ou de préparation militaire[2].

La diffusion et la massification de la fizkul’tura suivent plusieurs vagues. Dans les années 1920, les activités physiques novatrices côtoient les pratiques menées par des groupes de l’Ancien régime comme le mouvement Sokol et les boy-scouts. Ceux-ci sont progressivement interdits et remplacés par de nouvelles institutions comme les octobristes, les pionniers, les komsomols et par des cercles locaux sportifs. À la fin des années 1920, comme bien d’autres sphères de la vie sociale soviétique, les politiques sportives soviétiques sont centralisées et commencent à valoriser la compétition socialiste, tout comme elles visent par d’autres moyens (construction d’équipements, mise en place de programme d’éducation physique de masse comme le programme Prêt au travail et à la Défense) à favoriser la diffusion des activités physiques et corporelles. Or, les rapports de l’inspection ouvrière et paysanne, comme les articles de la presse pour la jeunesse (Komsomol’skaya Pravda) attestent d’une difficulté à permettre l’activité physique des masses et témoignent de l’échec d’une politique sportive.

La communication que je souhaite proposer s’appuie sur des sources conservées et numérisées à la Contemporaine, issues de l’administration centrale de la statistique. Cette enquête porte sur les loisirs et les conditions culturelles et matérielles de la jeunesse ouvrière et kolkhozienne de plusieurs villes et régions soviétiques, réalisées en 1936 et 1938. Dans son ensemble, cette enquête documente un échec. Les projets portés par le Comité de culture physique visaient la massification des activités sportives : les résultats montrent que ce sont les catégories les plus politisées qui s’investissent dans les pratiques promues par le régime, que la mise en mouvement des Soviétiques n’est que très limitée et que ce sont finalement les pratiques autonomes qui sont privilégiées.

À partir des données récoltées par les statisticiens soviétiques et dans une perspective de sociohistoire des régimes communistes, cet article visera, d’une part, à comprendre comment les autorités cherchent à appréhender les effets de leur politique et, d’autre part, à déterminer la portée des mesures visant initialement à massifier la pratique d’activités physiques.

[1] Pour une synthèse : DUFRAISSE Sylvain, « Façonner les corps : activités corporelles, culture physique et sport du milieu du dix-neuvième siècle à 1991 », in ALAZARD Joelle et alii, La Russie et l’URSS du milieu du XIX à 1991, Paris, Breal, p. 79-91.

[2] GRANT Susan, Physical Culture and Sport in Soviet Society, Propaganda, Acculturation and Transformation in the 1920s and 1930s, New York/Londres, Routledge, 2013.